jeudi 3 octobre 2013

"Rencontre avec l'École: un billet (non doux), libérateur de ma première colère...



Quand on écrit un blog à 4 mains, qui plus est quand ces deux paires de mains partagent leurs quotidiens, alors il est des soirs où en rentrant du boulot, l'atterrissage est difficile.

Cette semaine, je suis en cours, et les semaines de cours ça a un point positif: la théorie, et bien ce n'est pas le terrain, ce n'est pas le quotidien de la MECS et toute cette violence à laquelle je suis confrontée chaque jour, et ce soir je me sens de vous livrer ce billet (non doux) à propos de la violence d'une Institution: l'École...

Ce soir, j'ai besoin de vous faire part de ce qui tord mes tripes depuis quelques jours déjà, et quand je parle de "tordage de tripes", je vous assure que les mots sont sagement posés.
Il y a quelques jours, je me disais qu'un "tournage" de touches du clavier 7 fois sous mes doigts serait peut-être plus sage... Mais à quoi bon vouloir être sage quand l'épisode vécu s'apparente au chaos ??

Alors voilà, sous les encouragements de plusieurs travailleurs sociaux également en colère, je me lance...



L'autre jour j'étais donc conviée à ma première réunion au sein d'une école primaire, afin de préparer la rentrée d'un petit garçon de 8 ans, placé en MECS et bénéficiant depuis plus d'un an d'un accompagnement éducatif spécialisé en ITEP.

Les deux équipes MECS et ITEP (chefs de services, éducateurs référents, psychologue, enseignant spécialisé) sont donc réunies pour faire le point sur la situation de cet enfant, avec pour objectif principal de valoriser les progrès effectués par cet enfant l'année passée, et de formaliser l'organisation de l'accompagnement pour cette nouvelle année scolaire.

Nous sommes donc reçus en salle des professeurs, dans une ambiance glaciale et électrique à souhait.
L'équipe enseignante (direction et instituteurs de toutes classes) est au complet: "artillerie" impressionnante pour seulement un enfant qui depuis que son accompagnement est en place, ne fait pas plus de "vagues" qu'un autre enfant de son âge...
Il faut dire que des vagues, même s'il le voulait, ce ne serait pas chose aisée pour lui. Car cet enfant (scolarisé 1 ou 2 après-midi par semaine en présence de son éducateur avec les autres "élèves dignes de ce nom"), n'est pas libre d'évoluer dans cet espace de socialisation (?) qu'est l'école.
Non, cet enfant fait peur: forcément c'est un lourd "cas social" et on ne manquera pas de nous le faire remarquer car nous sommes nombreux nous les travailleurs sociaux autour de cette table, et dans les perceptions communes, plus il y a d'intervenants, plus cet enfant est un "danger" !

Cet enfant qui suscite donc peur, crainte, rejet (etc car la liste des mots doux pourrait s'allonger), est donc considéré par cette école comme un danger: la préoccupation essentielle de la direction n'était pas de valoriser les compétences acquises par cet enfant grâce à la coopération des différents intervenants, non, c'était bel et bien de s'assurer que cet "enfant de foyer" ne se retrouve pas seul au contact des autres enfants "bien nés" fréquentant l'école (et oui, vous comprendrez bien volontiers que "si cette école publique de la République n'accueillait pas ces enfants de foyers, elle serait "école d'élite"avec de meilleurs résultats hein ?!).

Les mots qui ont été posés lors de ces échanges électriques m'ont fait réaliser que l'on ne parlait pas d'un enfant, mais d'un colis piégé (qu'il fallait que l'on surveille à chaque instant: du moment où un éducateur ou une maitresse de maison viendrait le "déposer" devant le portail, où là son éducateur ou enseignant spécialisé de l'ITEP devrait assurer le relais pour le prendre par la main, traverser la cour avec lui, faire la classe et vite repartir pour éviter le moment crucial de mixité de la récréation !), ou d'Hannibal ce monstre inhumain qu'il faut à tout prix contenir, isoler, enfermer...

Alors quel mot poser sur mon ressenti à l'issue de cette rencontre ?
Abasourdie ? Choquée ? Ulcérée ?
La réponse, je l'ai eue en rentrant au foyer, quand ce petit bonhomme a couru vers nous pour nous dire tout fier qu'il avait un nouveau cartable et qu'il était impatient de retourner à l'école le lendemain matin...
Ces mots, ce sourire et cette innocence ont achevé mon "tordage" de tripes. Si tu savais petit bonhomme comme j'ai pris sur moi pour ravaler les larmes qui me montaient...
Dans ma tête, je me suis dis que sur ton nouveau cartable tu n'avais pas d'Etoile Jaune, mais que d'autres avait pris le soin de te coller cette étiquette "môme de l'ASE" et qu'il allait te falloir une sacrée force pour la décoller celle-là !

Pour moi qui effectue mes premiers pas dans le Social, cet épisode - que je me permets de qualifier de maltraitance institutionnelle - représente un questionnement supplémentaire au sujet de la mise en oeuvre des dispositions légales dans notre pays. Que font certains enseignants (pas tous hein, parce que moi dans mon entourage, j'en connais une petite poignée issue d'un "moule" bien différent où résonnent encore les valeurs de la République) de la Loi du 11 février 2005 pour l'Égalité des droits et des chances ? Le droit à l'éducation pour tous (quel que soit le handicap), est un droit fondamental. Ce n'est pas une option, c'est une obligation.

Alors que faire face à de telles réactions ? En rester là: certainement pas.
Interpeller les uns et les autres sur cette réalité qui dérange, écouter ces peurs et COMMUNIQUER pour faire tomber les murs entre ces deux mondes. OEUVRER pour que ces enfants (qui, surement inutile de le rappeler, n'ont pas choisi d'être placés) ne soient plus otages de conflits inter-institutionnels entre Éducation Nationale et Éducation Spécialisée.
Et puis continuer de CROIRE que certaines représentations peuvent changer, se lever chaque matin pour mettre du SENS dans ce que l'on bâtit, pas à pas, jour après jour... ENSEMBLE, c'est possible.

Anna.

7 commentaires:

  1. "Ensemble nous sommes le monde et le système n'est rien"
    Keny Arkana. Cinquième Soleil.

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  2. Pauvre gosse, cette société me dégoûte.....

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  3. Bin moi aussi je dois refouler mes larmes, rien qu'à te lire, alors je n'ose imaginer ce que tu as ressenti sur place...

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  4. Je l'ai lu hier, et je dirai aujourd'hui, sans connaitre les enseignants, l'école, ou leur situation, pas plus que l'enfant d'ailleurs et sa situation à lui..., que l'intégration à l'école est bien souvent un grand problème...pour toutes sortes de bonnes et mauvaises raisons...l'information , le cadre, la communication, les moyens.....
    et que jusqu'à aujourd'hui les problèmes que j'ai constatés (et je ne parle que de ceux que j'ai pu voir) étaient difficilement imputable à l'une ou l'autre partie...

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  5. Merci pour ce billet très intéressant et tellement vrai! Enseignante spécialisée en CLIS, j'ai été confrontée à multiples reprises à ce genre de réactions. La différence fait peur... allez... je peux le comprendre, mais l'école doit d'être le lieu où l'on combat préjugés , idées reçues et même si certains n'ont pas de "sensibilité sociale" , on se doit de réagir en professionnels. Bien évidemment , je connais les difficultés, les problèmes, le manque de moyens, le manque cruel d'informations et de formations sur le sujet. Tout cela n'aide pas bien au contraire... à nous,adultes, de faire en sorte que l'école ne soit pas maltraitante et là il y a beaucoup de boulot à faire.

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  6. On a beaucoup à faire en terme de travail de réseau avec le monde de l'enseignement. Souvent cette maltraitance s'exprime dans deux sens opposés. Les bonnes intentions aussi souvent conduisent à l'incohérence voir la maltraitance.

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  7. entendre et comprendre la peur de l echec de l enseignant lui même est à mon sens la première chose à faire pour favoriser un jour la rencontre humaine avec l efant qui changera la donne. dans ce cas toute forme de lutte ou de combat idéologique me paraît stérile. communiquer positivement encaisser jusqu'à ce que la rencontre soit possible, que l enseignant franchisse le cap d ententre la détresse de l enfant comme nous tous en te lisant, sans se sentir unique responsable de la situztion scolaire de l enfant.
    interpretation personnelle: bien souvent le vécu scolaire ou le militantisme du travailleur social viennent se confronter frontalement au système education nationale qui a grand peine à s ouvrir aux partenaires sur ce lieu sacré qu est la classe avec son maître (absolu). il me semble qu un moyen de sortir du combat de chappelle est comme tu le dis de communiquer et de favoriser l expression de chacun sur ce qu il ressent avec le moins de jugement possible quelle que soit la violence des mots. ainsi l enseignant pourrait faire part de l impossible mission qui lui est confiée... un peu moins idealiser son rôle... et faire avec les partenaires. le travailleur social pourrait aussi se détacher de son ideal (vengeur) d integration et faire avec le contexte... peut être moins rapidement que prévu. mais de façon plus sécurisante pour l enfant.
    tout cela est fort complexe et ce que j ecris n est que pure interprétation à partir d histoires vecues d un educ en sessad d itep...
    bon courage ;)

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